Écrire pour les acteurs

16 avril 2017 23 avril 2017

Cendre Chassanne et Cécile Leterme sont venues travailler sur la prochaine création de la compagnie Barbès 35. Le calme et la tranquillité du lieu ont été propices aux artistes pour avancer dans leur projet.

« Écrire pour les acteurs
Les acteurs et les actrices sont des êtres particuliers, des homo sociologicus & oeconomicus singuliers qui portent en eux quelque chose d’antique et de perpétuellement moderne : ils cherchent constamment le sens de leur vie, et de leurs actes. Ils jouent avec les limites, en cela ils perpétuent le jeu de l’enfance, en cela ils remettent en question, constamment, les enjeux du vieux monde porté en majorité par les adultes, dont le but visé -a contrario- est la stabilité.

Voici des bribes de cet état de recherche amorcé à Monthelon :

Première partie, des solos

1- la comédienne qui tourne
Je me souviens une période faste, les répétitions d’une pièce de Shakespeare, Comme il vous plaira je crois, oui Comme il vous plaira, en pleine nature, le théâtre s’ouvrait sur la nature, presque la forêt enfin vous voyez un genre de lieu qui n’existe plus. Ça m’a fait plonger.
J’ai eu besoin de repasser par-là, la terre, les origines, les loups.
Après le 10ème arrondissement, ses vides dressing et ses brunchs du dimanche, j’expérimente l’autarcie. L’abstinence vosgienne. Le manque bourguignon. L’ascétisme alpin. L’autonomie nutritionnelle, l’indépendance sexuelle et conjugale. J’ai laissé mon mari à Paris.

York va bien, il écrit dans l’appartement ses rêveries de promeneur solitaire, les pièces sentent un peu le brûlé, les lits sont sales et moi je vis à poil.

2- la comédienne qui dévore des livres.
Ce matin I have many desire.
Ce matin je nettoie les vitres et le salon à fond.
Je mange bien et je fais mon jardin.
Je fais une sieste. Cette année les siestes de l’été sont courtes, je plonge très vite dans les bras de Morphée, je respire fort et parfois ronflotte avec la gorge, je rêve quelques fractions de secondes et je me réveille.
Je vais en vélo à la Shakespeare Cie Library, i don’t speak english very well, mais ce n’est pas grave, je suis comme dans un film et je fais croire aux vendeurs que je les comprends très bien, je dis yes yes et j’achète la vieille édition de Bovary en anglais, dont la jaquette est en tissu rouge bordeaux et le titre en lettres d’or. J’en achète 2 autres, des contemporaines. J’achète aussi un petit livre pour enfant de Hanna Arenth et encore les Collected Stories de Lydia Davis pour me faire croire que je lis l’anglais. Je lis 2 histoires à voix haute sur le banc devant la librairie et je les trouve géniales.
Le lendemain à Bruxelles, je relis Ce que la vie signifie pour moi, de Jack London, qui est une petite bombe et je décide sur le champ que nous allons le faire entendre au monde entier.

3- La comédienne qui adore partir
Elle aime partir. Tout le temps.
Dès qu’elle sort de sa maison elle aspire une grande coulée d’air, s’engouffre dans le métro, tire sa valise et part.
Les trains, les secousses, les camions, (non, ça c’est dans un autre texte qu’elle a joué jadis), aujourd’hui, non, elle part jouer un Primo Levi à Nancy.
Tout va très vite tout le temps.
Elle a, un matin, à l’hôtel de la Poste de Nancy, l’intime sensation que seule la mort va l’arrêter.

Deuxième partie, le collectif
Brume. Musique de Purcell.
Les acteurs et les actrices ont vieilli, ils appartiennent maintenant à « La communauté des vieux acteurs ». Ils vieillissent en direct. Deux jeunes personnes les accompagnent. Ils se rassemblent autour d’une table. L’assemblée délibère. On énumère les règles de la maison. Ils sont très vieux et ils vont vivre ensemble, une nouvelle ère. L’ère des vieux. Comment ça invente encore ? Comment ça résiste aux influences et pressions du marché, aux multiples lobbyings ? Comment ça lutte encore pour rester debout, tirer la langue, cultiver son légume, rester en marge, cultiver sa marge ?
On dit les règles. On poudre les cheveux avec des entonnoirs. On a les cheveux blancs et beaux. Un grand nuage blanc s’élève au-dessus de l’assemblée.
»
Cendre Chassanne