Alma Palacios, danseuse et comédienne, continu sa création autour du thème des absents et de l’invisible.
What’s the matter—j’ai un corps est un travail de solo commencé en 2016 suite à la lecture du livre D’ici là de John Berger. Il y est question de rencontres avec les morts. Ces derniers ne sont pas décrits comme des fantômes, des morts vivants ou des spectres. Ils sont morts mais présents tout à la fois—morts en chair et en os. J’ai été très touchée par la façon dont John Berger fait exister ce lien si étrange, qui est au coeur de notre humanité et résiste à toute tentative d’explication.
Tout en continuant à prendre part à des aventures de créations collectives j’avais envie de retourner au travail de solo. Un lieu de recherche sans autres contraintes que celles que je découvrirais en chemin, sans calendrier pré-établi, qui me permette de plonger dans les questions qui m’occupaient vivement, et continuent de m’animer.
Un corps vivant, visible, disparait à la vue, se retire dans l’invisible. Qu’est-ce que la disparition d’un corps familier nous apprend du nôtre. Comment notre corps entre t-il en résonance avec celui du défunt. Jusqu’où pouvons-nous aller dans l’expérience d’un corps ouvert à l’invisible. L’expérience de la mort d’un proche me ramène au choc premier d’être un corps. Mystère insondable, je ne prétends pas ici percer le voile, accéder à la vérité. Simplement vivre dans la question, y rester pour habiter le monde dans toute sa largesse. Vivre le visible, tout empli de ce qui ne se voit pas. Vivre avec la mort comme puissance de vie. Rien de mortifère, au contraire. Nous sommes vivants, maintenant. Avoir un corps change tout. Ce projet est l’occasion de dire cela à haute voix.
Il est aussi question de filiation, de lien aux ancêtres. Comment vivent-ils en nous, comment aller à leur rencontre, les honorer? Les laisser partir? Qu’est-ce qui « passe » entre eux et nous? Qu’est-ce que la transmission? De quoi est-elle faite et comment s’opère t-elle?
Ce travail soulève la question de la nécessité du corps. Le rapport à la mort dans notre société. L’importance de l’Histoire et des histoires.
Le chant, le geste, les danses, le texte, le poème, la prière, les traces documentaires sont autant de matériaux qui se sont imposés et que je cherche à articuler.
Il s’agit de dialoguer.
Dialogue avec le père. Avec la grand-mère espagnole-argentine. Avec son propre corps comme interrogation. Avec l’écriture. Avec des textes de Valérie Rouzeau, Nathalie Quintane, et John Berger.
C’est une navigation entre différents territoires, absences, mémoires, objets, pour ne pas finir de s’étonner: What’s the matter—j’ai un corps.